Gustave Flaubert

Gustave Flaubert et son fantôme de Trouville


C’EST A TROUVILLE que la famille Flaubert passait ses vacances d’été. Elle quittait Rouen et l’appartement de fonction du père, chirurgien en chef à l’Hôpital, pour s’installer à l’Auberge de l’Agneau d’Or, situé à l’angle du quai et de la rue du Commerce, aujourd’hui rue de Verdun. 

Gustave n’a que 12 ans lorsqu’il vient pour la première fois à Trouville. C’est un adolescent renfermé qui se réfugie dans la lecture et écrit de petits récits historiques dans lesquels il rêve de héros aventuriers et d’héroïnes aimées d’amour profond.


Au mois d’août 1936 alors qu’il se promène sur celle qui n’est pas encore surnommée la reine de plages, le jeune Gustave ramasse une cape qu’il va s’empresser de rendre à sa propriétaire, Elisa Schlésinger. De 12 ans son aîné, elle est mère d'une petite Marie et épouse de Maurice Schlésinger, directeur de La Gazette et revue musicale de Paris. L’ado de 15 ans est sous le charme. « J’étais immobile de stupeur comme si la Vénus fût descendue de son piédestal et s’était mise à marcher », écrit-il dans Les Mémoires d’un fou, sa première oeuvre. « C’est que pour la première fois alors je sentais mon cœur, je sentais quelque chose de mystique, d’étrange, comme un sens nouveau. J’étais baigné de sentiments infinis, tendres, j’étais bercé d’images vaporeuses, vagues, j’étais plus grand et plus fier tout à la fois. J’aimais. » 

Devenu écrivain, Gustave Flaubert parlera d'Elisa Schlésinger comme du « fantôme de Trouville ». Elle inspirera en partie le personnage de Madame Arnoux dans L'Éducation sentimentale. 


« Je n’ai eu qu’une passion véritable. Je te l’ai déjà dit. J’avais à peine 15 ans, ça m’a duré jusqu’à 18 », écrit-il à sa maîtresse en 1846, la femme de lettres Louise Collet. « Et quand j’ai revu cette femme-là après plusieurs années, j’ai eu du mal à la reconnaître. » Voilà qui fait penser à la dernière rencontre entre Frédéric et Madame Arnoux dans L’Éducation sentimentale et à leur amour resté platonique.

En 1853, Gustave Flaubert reviendra dans la cité balnéaire, désormais baptisée Trouville-sur-Mer. A cette époque il travaille déjà sur Madame Bovary, son ouvrage sorti en 1857. Il logera alors au-dessus de l'actuelle Pharmacie centrale du port, 138, boulevard Fernand-Moureaux.

Dans un courrier adressé à Louise Colet, l'écrivain racontait l'émotion suscitée par ce retour à Trouville. « Tous mes souvenirs de ma jeunesse crient sous mes pas, comme les coquilles de la plage. Chaque lame de la mer que je regarde tomber éveille en moi des retentissements lointains. J'entends gronder les jours passés et se presser comme des flots toute l'interminable série des passions

disparues. »


Le 5 octobre 1872, Gustave Flaubert adresse un courrier à Élisa Schlésinger : « Ma vieille Amie, ma vieille Tendresse, je ne peux pas voir votre écriture, sans être remué ! [...] Je suis un Vieux. L’avenir pour moi n’a plus de rêves. Mais les jours d’autrefois se représentent comme baignés dans une vapeur d’or. Sur ce fond lumineux où de chers fantômes me tendent les bras, la figure qui se détache le plus splendidement, c’est la vôtre ! Oui, la vôtre. Ô pauvre Trouville. »




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