naissance du mythe

La naissance d'un mythe racontée par Claude Lelouch


«MA VIE A ÉTÉ FAITE DE HAUTS et de bas. Ce sont ces hauts et ces bas qui m’ont permis de faire ce que j’ai réussi de mieux. Je le répète souvent : tout ce que j’ai réussi, je l’ai d’abord raté. L’échec est pour moi la plus grande école, la plus grande université qui soit. 

Un homme et une femme est donc né de l’échec des Grands moments, un film que j’avais écrit avec Pierre Braunberger (producteur). C’est un film que les gens n’ont pas aimé. On n’a pas trouvé de distributeur. Et donc juste après, j’étais pratiquement ruiné. J’étais couvert de dettes et je m’apprêtais à déposer le bilan de ma société Les Films 13 que j’avais créée 5 ans plus tôt, en 1960. J’étais désespéré.


Un soir où j’allais vraiment très mal, je me posais mille et une questions, j’ai pris ma voiture. Je le fais toujours quand je ne vais pas bien. Je roule pendant des heures pour réfléchir. C’est ma thérapie. Alors ce soir-là, j’ai quitté Paris et inconsciemment, j’ai pris la direction de la Normandie. Pas complètement inconsciemment en fait car c’est la région où j’ai grandi, ma mère avait une petite maison à Auberville (76). J’ai donc roulé vers la Normandie, et à 2 heures du matin je suis arrivé devant les Planches à Deauville. Je me suis arrêté. Je ne pouvais pas aller plus loin. J’étais épuisé. Désespéré. En plus, j’avais roulé la nuit, très fort. Un peu d’une façon suicidaire. On n’a pas envie de se suicider mais on se dit que si ce soir l’accident arrivait, ce serait moins grave. Je me suis endormi dans ma voiture.


J’ai été réveillé vers 6 ou 7 heures par le soleil. On devait être au printemps. Je suis sorti de la voiture. Je me demandais ce que je faisais là. Et puis j’ai commencé à respirer. C’était à marée basse. Magnifique. La lumière était d’une beauté, comme dans Un homme et une femme ! Et au bout de la plage, très loin, il y avait une femme. Elle marchait avec un enfant à la main et un chien qui gambadait dans l’eau. J’ai trouvé cette image sublime. La lumière, cette femme... et je me suis dit : « qu’est-ce qu’elle fout à 6 heures du matin sur cette plage avec un enfant et un chien ? »


J’ai eu envie de voir cette femme. Je la trouvais très belle. De loin, la silhouette était magnifique. En plus c’était impressionniste au possible. Alors j’ai marché vers elle pour voir son visage. Et en marchant vers cette femme je lui ai inventée une situation qui faisait qu’elle se trouvait sur cette plage. Pourquoi est-elle là ? Peut-être qu’elle vient voir son enfant ? Si elle le promène à 6 heures du matin c’est qu’elle ne le voit pas souvent et qu’elle veut en profiter... Au fur et à mesure que j’avançais vers elle, j’étais en train d’écrire Un homme et une femme. J’ai idéalisé cette femme, l’enfant, le chien. C’était une sorte de vision. Et comme j’avais roulé très vite pendant la nuit, j’ai pensé au coureur automobile. Il fallait que je marie la vitesse, le danger et la beauté de la ville de Deauville. C’était le coeur du film. Je savais que le cadre se déroulerait à la fois dans un monde de danger et de quiétude.


Je ne suis jamais allé jusqu’à cette femme tellement j’étais emballé par l’idée. J’ai foncé comme un fou dans ma voiture. J’ai commencé à jeter sur le papier les premières idées du film, et après je suis allé dans un petit bistrot en face de la gare où j’ai écrit pendant 2 heures. Ensuite je suis rentré comme un fou à Paris en me disant : « ça y est j’ai trouvé une idée de film formidable ».


Il fallait que j’aille très vite. Il me restait 8 ou 9 mois avant que ma société ne soit mise en liquidation. On a donc écrit l’histoire avec Pierre Uytterhoeven (ndlr : scénariste) en 2 mois, et la musique avec Francis Lay. Le tournage a eu lieu pendant l’hiver 65. J’ai fini le film en 1966 pendant le rallye de Monte Carle auquel on a vraiment participé. Je n’avais pas les moyens de me l’offrir, en revanche j’avais les moyens d’engager une voiture. Alors on était 3. Jean-Louis Trintignant, Henri Chemin et moi qui filmait. Et j’avais une autre équipe qui filmait les temps de passage. 


Le film a été monté très vite. Dès qu’il a été terminé, je l’ai montré à la commission de sélection du festival de Cannes et à l’unanimité, il a été retenu pour représenter la France. Je me suis dit : « ça y est, j’ai peut-être fait un vrai film ». Et, à partir de là, les miracles... On ne pouvait pas imaginer que ce film allait recevoir 2 Oscars, la Palme d’or, 45 récompenses... et avoir une place à Deauville. J’avais 26 ou 27 ans à l’époque. Pour un petit metteur en scène, c’était déjà très bien d’être sélectionné à Cannes. 



Le soir même de la sélection, grâce à un copain, j’ai montré le film aux Artistes associés. Mon copain, qui s’appelait Bob Hamon, avait vu le film tout seul, c’est d’ailleurs la première personne au monde à l’avoir vu. Il était sorti en larmes et m’avait dit : « Ecoute, il faut absolument que je montre ce film au patron des artistes associés ». A minuit on lui a fait une projection et, à 2 heures du matin, le patron des Artistes associés m’offrait le monde ».


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